Lettre à mes ami-e-s abstentionnistes. Par Gabriel CLERMONT

L’air est asphyxiant. Difficile d’éviter l’horrible odeur d’élections printanières, pire encore que la succession de nids-de-poule et le dégel salissant. L’attention médiatique situera ce court instant «démocratique» au cœur de nos préoccupations, et ne se bornera qu’à celui-ci. Il apparait possible de déblatérer éternellement sur les carences de notre carnaval électoral, il reste que néanmoins ce système permet à de nombreux individus d’avoir accès aux coulisses du pouvoir, de poursuivre leur projet de paupérisation d’une tranche vulnérable de nos compères. L’idée sous-entendue ici n’est en rien de cautionner un procédé électoral horrible, ni même de vanter les mérites d’un parti politique particulier. En fait, il s’agit de contribuer à une réflexion que plusieurs partagent ou entreprendront au cours des prochaines semaines, étant moi-même indécis sur la question.

 

Précarité, coupure, le mot d’ordre apparait être comme celui de l’austérité, d’un capitalisme débridé. Tant du côté des libéraux que des péquistes, voire de la quasi-totalité de l’Assemblée nationale, il est possible d’assister à une convergence des formations politiques vers ce modus operandi. L’unique différence entre les deux principaux partis mentionnés ci-haut s’applique sur la clarté de l’application des principes néolibéraux. En effet, l’année 2012 permit d’exposer au grand jour les visées libérales, cette formation assumant pleinement leur appartenance envers cette doctrine idéologique. Quant aux péquistes, l’évidence est moins vraie. Se réclamant d’être multicolore, par sa finalité souverainiste, ce parti multiplie les prises de positions ambigües tout en alignant les parades, évitant, du coup, d’afficher sa véritable identité.

 

Reste que les politiques sociales dictées par la succession de gouvernements des années précédentes ont paupérisé des populations déjà vulnérables. Ceux et celles à qui toute hausse des frais de scolarité est un fardeau supplémentaire, ceux et celles à qui une hausse des tarifs de garderie implique des concessions supplémentaires au sein d’une réalité bien précaire. À ceux et celles qui opposeront à ce constat l’impossibilité des formations politiques alternatives de saisir le pouvoir, il m’apparait pertinent de répondre que le simple vote offre au parti un appui symbolique et financier, il permet aux idées de ce dernier de croitre, de combattre ce consensus idéologique.

 

À ceux et celles qui s’opposeront à voter, j’espère simplement que vous prendrez soin de vous déplacer afin d’annuler votre vote; loin l’idée de cautionner ce système bidon par cet exercice. Ce qui est sous-tendu ici est de montrer notre attachement envers l’esprit démocratique, que leur cirque électoral ne correspond en rien à la vision à laquelle nous adhérons. Le fait d’annuler notre vote représente une opposition au sens large, débordant de l’enjeu électoral. Ainsi, nous évitons de sombrer au sein de cette masse jugée désabusée et désintéressée de la sphère publique. Au contraire, par notre déplacement, nous montrons une forme d’attachement à quelque chose de bien supérieur.

 

Il apparait au sein de certains milieux militants un consensus ou un malaise de débattre de la question électorale, donnant l’impression qu’être radical implique une manière précise d’agir. Outre cela, il semble manifeste qu’un changement drastique ne s’effectuera pas demain. Les questions qui se posent ici sont multiples : l’existence de ces formations politiques retarde-t-elle l’avènement d’un jour meilleur? Ne faut-il pas maximiser les fronts de lutte ? Dans une époque où le concept de démocratie est rattaché à celui de marketing, que des enjeux sociaux sont traités en l’espace d’une demi-journée au sein de cette frénésie médiatique, pouvons-nous escompter une meilleure visibilité à des idées trop souvent décriées utopistes ?

 

Les périls de l’anarchisme ordinaire. Par Milan BERNARD

En 2012, Pierre Foglia, chroniqueur à La Presse, après avoir promis de donner son vote à Québec Solidaire, s’était ravisé et avait choisi de ne pas voter. L’automne dernier, des militants anarchistes distribuaient à l’université des tracts prônant l’abstentionnisme lors des conférences des candidats à la mairie. La cerise sur le gâteau, une lettre ouverte dans Le Devoir du 25 février dernier, d’un certain Daniel Faucher intitulée « Pourquoi je n’irai pas voter ». J’ai alors pris conscience d’un phénomène dont on a l’habitude de négliger ou de croire marginale.

Nous avons tort.

L’abstentionnisme électoral n’est pas à prendre à la légère. Il ne s’agit pas de se fondre dans le moule de l’uniformité que de remplir son devoir citoyen, mais bien d’agir au minimum pour la démocratie. J’irai même plus loin : cette forme d’ « anarchisme ordinaire » est un fléau pour notre société. Faussement à gauche, il s’agit plutôt d’une justification infondée de la passivité ; c’est une porte ouverte, non seulement au cynisme, mais également au contrôle de la droite affairiste de la société. Charles Taylor, souvent médiatiquement diminué injustement à la fameuse commission de 2007, dans Grandeur et Misère de la modernité, nous mettait en garde contre le cynisme et la fragmentation : ces phénomènes mettent la population à merci de la raison instrumentale, nous recentrant vers notre individualisme et ouvrant la porte au contrôle d’une élite « malfaisante ». Refuser de participer à l’exercice politique le plus direct dans la situation actuelle québécoise en citant la continuité étouffante et la convergence des programmes des vieux partis constitue une mauvaise lecture de l’action électorale. En effet, les « îlots de résistance », c’est-à-dire les idées divergentes par les alternatives politiques, toujours selon Taylor, ne peuvent exister que par une participation active au processus électoral. L’attachement aux institutions, peu importe notre affiliation politique, doit être démontré : aucun changement ne viendra de l’inaction. Pour mettre en marche de véritables mesures progressistes, les acteurs de gauche ne doivent pas laisser la voie libre aux gens du milieu des affaires comme candidats politiques : c’est en intégrant les structures actuelles que les politiques sociales pourront être appliquées.

Un taux d’abstention élevé ne révèlerait en rien une adhésion soudaine de la population en l’idéal anarchiste, mais plutôt une option confortable d’indifférence, justifiée par un discours simpliste et réducteur envers les acteurs de la chose publique. Que nos collègues des HEC se rassurent, les ventes de Bakounine, Thoreau ou même Chomsky ne sont pas près d’être au sommet du palmarès de Renaud-Bray !

Faire de la politique, ce n’est pas seulement exercer son droit de vote lors de l’exercice électoral. Le militantisme, les manifestations, les regroupements, les pétitions, les évènements, les discours, les spectacles : tout cela fait partie de la « superstructure » politique.  Toutefois, dans un contexte pluraliste et démocratique, comme celui du Québec et le Canada, l’abstentionnisme n’a aucune valeur de protestation et est simplement un refus de participation à la société civile.

Le 7 avril prochain, votez !

 

Bibliographie :

Charles Taylor. 1992. Grandeur et misère de la modernité. Montréal : Éditions Bellarmin (Fides). (Traduction de Charlotte Melançon)

Daniel Faucher. 2014. « Pourquoi je n’irai pas voter ». Le Devoir. 25 février. En ligne. http://www.ledevoir.com/politique/quebec/401025/pourquoi-je-n-irai-pas-voter?fb_action_ids=10153907608130192&fb_action_types=og.recommends&fb_source=other_multiline&action_object_map=%255B501578893280689%255D&action_type_map=%255B%2522og.recommends%2522%255D&action_ref_map=%255B%255D

 

 

Le paradoxe de la structure politique. Par Charles-Olivier PÉLOQUIN

L’absence totale de structure politique ne fonctionnerait probablement jamais. Mais, qui serait prêt à dire que la structure politique actuelle fonctionne ? Si c’est votre cas, vous me nommerez sans doute l’UPAC, l’Escouade Marteau, la Commission Charbonneau, l’arrestation d’Applebaum, Vaillancourt ou bien Marcotte etc. comme étant le remède contre la maladie qui ronge notre structure. C’est mignon.

Bien qu’il existe une multitude de raisons de vouloir une structure politique, nous légitimons celle-ci en premier lieu puisque l’on considère qu’elle répond à un besoin de contrôler les vices propres à l’humain. L’individu isolé est souvent dépeint comme un être irrationnel, manipulable, malicieux, égoïste et capable des pires immoralités pour en arriver à son bien-être personnel. Il faut donc à l’individu une instance qui lui est au-dessus de ce dernier, qui sait distinguer le moral de l’immoral et qui a le pouvoir de sévir lorsque certains dérogent au contrat social. C’est pourquoi les villes, par exemple, ont toutes besoin d’un maire qui saura empêcher les citoyens d’arnaquer leurs prochains Les Gilles Vaillancourt de ce monde existent pour éviter que les citoyens malhonnêtes construisent des condos où le zonage l’interdit. Ils existent pour assurer une distribution des contrats justes et équitables, qui éloignera les opportunistes avares voulant se remplir les poches. Les Richard Marcotte sont indispensables face aux cartels et au soudoiement par intimidation. Après tout, cette élite est nécessaire pour pallier les individus normaux qui pour leur part seraient rapidement corrompus. La corruption est si alléchante que seuls l’État et ses disciples se disent assez vertueux pour y renoncer. Non ?

Comme la nature humaine est égocentrique, nous, société, avons convenu qu’il est nécessaire d’avoir une structure politique. Toutefois, même à l’intérieur de celle-ci, les individus dotés de cette même nature égoïste, sont les plus enclins à vouloir occuper les postes clés. Ceux-ci leur permettant d’utiliser un levier politique fort pour arriver à leurs fins. Et après tout, qui les empêche? L’ensemble des individus égoïstes pour lesquels la structure existe? Je ne pense pas. Non seulement personne ne les empêche, mais ils vont jusqu’à élire les pires d’entre eux pour les mettre au pouvoir puisque l’action individuelle de voter est, elle aussi, facile à corrompre. Qui d’entre vous n’a pas les valeurs assez malléables pour faire une croix dans un carré particulier en échange d’un service non négligeable? Quand le maire de Montréal Michael Applebaum se fait arrêter pour quatorze chefs d’accusation, dont abus de confiance, n’a-t-on pas la confirmation que le pouvoir attire ceux qui en sont avares ? La structure veut réguler les maux sociaux alors que la plus grosse gangrène vit à l’intérieur d’elle-même.

Dans les faits, l’État sous les idéaux de supériorité morale et de neutralité n’est qu’un ensemble d’individus, tous aussi égoïstes les uns que les autres. Comme Dieu, la structure politique est comme toute construction humaine. Elle ne peut donc pas être porteuse de la vérité absolue.