Je tu moi moi, toi, nous, les autres : petit périple exotique en moi pour te voir toi. Par Miriam SBIH

Comment définir ou écrire le soi ? Peu importe dans quel domaine d’études vous vous trouvez, voici une interrogation centrale qui ne peut que ressurgir incessamment, lorsqu’il est question de former une identité ou bien de la déterminer. Que le Je que l’on tente de définir consiste en un individu seulement ou bien en une collectivité, décider d’un moi implique nécessairement de franchir non seulement les frontières de la langue qui nous est propre, mais aussi celles de la culture et des époques, ce qui mène à des dialogues et donc à des échanges entre les hommes, dialogues qui se veulent harmonieux et qui visent une nature plus universelle. Ainsi, nous pouvons comprendre que pour définir et écrire le soi, l’Autre constitue un fondement essentiel, non pas uniquement parce que son existence et sa présence sont incontestables, mais également parce qu’on ne peut pas se raconter et se construire individuellement, en faisant fi de notre rapport au passé, à l’histoire, concepts qui sont systématiquement universels. Pour qui définir le moi, au juste ?

Les rapports entre le Je et l’Autre à travers la question identitaire étant aussi complexes et sempiternels que captivants, j’ai décidé de m’aventurer à tenter de les comprendre à travers la notion d’orientalisme, thèse concrète- surtout connue en cette époque contemporaine grâce à la contribution de l’intellectuel Edward. W. Saïd, que j’utiliserai abondamment- qui selon moi représente parfaitement la construction et conscience identitaire du Je, à travers l’autre.

Qu’est-ce que l’orientalisme ?

Si je me contentais de tracer grossièrement les grandes lignes de l’orientalisme, de dire qu’il s’agit de la conscience identitaire de l’Occident, à travers l’idée de sa supériorité sur l’Orient suffirait. Effectivement, celui-ci traite de la relation entre l’Occident et l’Orient, à travers laquelle nous pouvons observer, du côté des Européens, une représentation de l’Autre silencieuse qui ne permet non pas de saisir cet Autrejustement, mais bien de construire sa propre identité, identité essentiellement caractérisée par une conception supérieure du moi, par comparaison. Il est important de saisir que l’orientalisme est un mode de discours employé non seulement pour traiter du monde oriental et le comprendre à travers notre monde, mais en majeure partie il sert –que ce soit implicitement ou pas- à raffermir l’identité européenne puisque ce qui est ultimement recherché n’est pas une vérité sur l’Autre, mais bien sa représentation par l’Occident et pour l’Occident. Ainsi, il y a définition et portrait de l’Autre dans un but presque unique de définir le soi et en raffermir le pouvoir.

L’orientalisme : gâteau à trois étages

Ce qui est caractéristique de l’orientalisme en tant que domaine d’analyse pour Saïd, c’est la séparation soulignée entre l’Orient et l’Occident, séparation que le critique considère créer de toutes pièces, dans le besoin de l’Autre ; « (…) la ligne tracée pour délimiter l’Occident de l’Orient, une ligne moins proche, selon moi, d’un fait naturel que d’une construction humaine, que j’ai désignée comme la géographie imaginaire. » Pour bien saisir l’orientalisme, il faut obligatoirement poser comme son principe, cette géographie imaginaire qui est commune aux trois principales définitions données à ce discours. La première définition précise que l’orientalisme repose sur la relation historique et culturelle entre l’Europe occidentale et l’Orient. La signification du discours orientaliste ne se comprend qu’en portant une extrême attention au contexte et à l’histoire. J’entends par là que les cadres politiques et culturels ne peuvent être négligés. Ainsi, pour saisir la relation entre l’Europe et l’Orient, il ne faut guère oublier leurs rapports respectifs, soit l’Europe en tant que pouvoir impérialiste et l’Orient en tant que colonie de cet empire, ce qui en fait une «  ( …) relation de pouvoir et de domination. » Par la suite, Saïd établit une définition universitaire de l’orientalisme, c’est-à-dire qu’il le place comme mode de discours académique et domaine d’études extrêmement présents parmi les institutions. Effectivement, «  est un orientaliste toute personne qui enseigne, écrit ou fait des recherches sur l’Orient en général ou dans tel domaine particulier. » Ainsi, l’orientalisme est l’étude académique, principalement au niveau universitaire, de cultures et de traditions orientales, par les Occidentaux. Les Français et les Anglais furent les principaux sujets européens attachés à cette notion, et ce, du début du dix-neuvième siècle à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, l’Amérique rentre en ligne de compte et entretient elle aussi maintenant une relation de domination sur l’Orient. En somme, toujours en gardant à l’esprit ce concept de géographie imaginaire et donc d’une séparation intrinsèque existant entre le monde occidental et oriental, une grande tradition intellectuelle s’est développée et instaurée dans les institutions universitaires et les études qu’elles entreprennent. Finalement, la troisième sorte d’orientalisme que Saïd définit est celle qui tient de l’imaginaire. Effectivement, il s’agit d’observer que l’Orient est l’Autre par excellence pour l’Occident non pas seulement comme sa colonie et son opposé, mais également par son côté mythique et fantastique. L’Orient a suscité et continue de susciter chez l’Européen des fantaisies et des images, en d’autres mots, il le fait rêver. Saïd fait donc mention d’un très large corpus de textes dans lesquels cette idée par l’Occidental de l’essence orientale est générée et ressassée entre les écrits, qu’ils soient philosophiques, poétiques, politiques, romanciers, etc. À travers ce que l’Européen croit savoir et voudrait savoir de l’Orient, il crée.

En somme, lorsque l’on traite de l’orientalisme, non seulement ne faut-il jamais oublier qu’il s’agit d’un discours pour raffermir l’identité européenne- le moi à travers l’Autre-, mais également que la tradition du discours orientaliste ne peut pas être dénuée de contexte. En tant qu’humaniste, Saïd semble mettre un point d’honneur sur le fait que l’on ne peut dissocier le sujet de son œuvre. Je veux exprimer par cela que même en écrivant sur l’autre, le poète ou le romancier ne peut pas se dissocier de ses conditions personnelles et ainsi, la pensée qu’il existe une ligne nette qui sépare les deux mondes ainsi que la relation de pouvoir qu’entretient l’Europe envers l’Orient ne peuvent être mises de côté lorsque l’on analyse la notion d’orientalisme dans son ensemble. En faisant parler l’Orient à travers ses voix, l’Europe renforce sa conscience identitaire à travers la représentation de l’autre. Afin de bien comprendre cette facette de l’orientalisme, il faudra tenter de comprendre ce rapport indéniable entre la représentation européenne de l’Orient et les relations de pouvoirs qui se jouent entre les deux « endroits ».

 

Avons-nous réellement besoin d’un autre concret afin de construire le soi ? Me semble-t-il que ce qui semble primer dans cette conscience identitaire à travers l’autre, c’est de connaître le caractère différent de l’autre pour se définir. Nous construisons-nous totalement et entièrement ? Je cesse mon questionnement mi-philosophique, mi-inutile, et vous conseille plus que fortement, si cette « saucette » dans la thèse de l’orientalisme vous a plu, la lecture de L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident ainsi que Réflexions sur l’exil et autres essais, ouvrages excellents et éclairants sur la question, écrits par nul autre qu’Edward W. Saïd !

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