Faire ou ne pas faire la grève : là est la question!

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Pourquoi faire ou ne pas faire la grève?
Quelles conséquences auraient une telle grève?
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Date de tombée : 29 janvier

Un journal sans Intérêt

Par Grégoire Domenach.

Avant toute controverse, il me faut relever un fait concernant l’école des Hautes Études Commerciales de Montréal : s’il est bien quelque chose de remarquable en son sein, c’est sans nul doute sa cafétéria. L’on conviendra néanmoins qu’une bonne cafétéria dans un tel lieu n’est que le juste reflet de notre temps. Le mercantilisme débridé soigne généreusement le ventre, il est donc d’usage d’aller faire remplir sa gamelle chez les Hauts-Commerçants d’HEC. Après tout, les hommes d’état actuels dansent bien devant des agences de notation pour empêcher la dégradation de leur alphabet… En Grèce, en Italie, en Espagne, l’on n’hésite plus à laisser le trône à d’anciens banquiers ou financiers, parangons de logiques austères enseignées dans certaines écoles. Mais, là n’est pas le sujet.

C’est ainsi que, ventre repu et pupilles comblées devant la démarche convaincue de studieuses étudiantes, juchées sur des talons-hauts (tout est haut, dans HEC…), je m’en allai clore le repas en parcourant le journal de l’école : L’Intérêt. À ma grande déconvenue – et je prie à l’avance tout lecteur d’excuser mon inculture – je ne l’avais jamais lu auparavant.

Dans l’Intérêt, à la seule lecture des titres, l’on évoque l’herpès, le dopage, les difficultés de l’orgasme, la zoophilie, l’ignorance… Certes, chacun sait que le moindre cours de marketing inculque à l’étudiant qu’il faut nourrir l’envie du consommateur d’entrer dans le magasin, mais tout de même, à ce point-là… C’est se moquer de Noël.

Dans l’Intérêt, en première page, une jolie blonde prénommée Annabelle – c’est bien fait le marketing ! – nous fait part de la pression qu’elle ressent dans l’existence : les avertissements sur les paquets de cigarettes, les publicités choquantes sur les accidents de la route, l’omnipotente culpabilisation, l’incitation à manger « bio », et l’on ne peut même plus, après toutes ces épreuves, se permettre un peu d’insouciance lors d’une relation sexuelle impromptue… Eh oui, Annabelle, les années soixante sont derrière nous… Mais l’on peut fort bien fumer deux paquets par jour, incurgiter la déjection des fast-food, midi et soir, conduire au rebord du coma éthylique et coucher à la roulette russe, que le résultat ne me semble guère plus réjouissant. Passons. À la page suivante, l’on entre déjà dans un sujet lourd de réflexion, sur la chute de l’URSS. Je préfère tout de suite avertir le lecteur de la spectularité des citations qui vont suivre. Les parents attentionés auront à charge d’éloigner les enfants.

« Le capitalisme a su résister en attirant vers la consommation, la liberté et l’individualisme. Nous pouvons donc affirmer que pour le moment, il s’agit du meilleur modèle, c’est celui qui a été accepté et adopté par un grand consensus mondial. (…) Ne nous inquiétons pas, ajoute-t-elle (car on peut avouer jusqu’ici avoir été davantage prompt à la désolation, qu’à l’inquiétude…), l’esprit capitaliste, support de nos métiers, n’est pas en danger tant qu’aucun concept à la fois économique, sociologique et politique n’émerge et ne s’impose, ce qui ne risque pas d’arriver dans la décennie à venir ». Il est en effet étonnant que les citoyens de tout pays ne se réjouissent pas suffisamment du modèle capitaliste, de ses prophètes dans leurs grandes écoles, et ne l’acceptent pas enfin comme l’horizon indépassable du monde. Il faut croire que l’indignation pousse encore des hommes à braver le froid et la pluie, à camper sous les tours d’ivoire de la Finance, pour alerter sur l’injustice.

 Malgré cela, le capitalisme reste le « meilleur système, adopté et accepté par un grand consensus mondial ». Certes, je vois d’ici le sourire des esprits critiques qui se représentent tous les États réunis autour d’une table à l’ONU, et qui, après un bon buffet, se déclarent unanimes sur l’acceptation du capitalisme pour idéologie dominante (je tiens à préciser qu’HEC est une école…). Ainsi, il suffit de l’exemple des coups d’Etat en Amérique du Sud, orchestrés par les Etats-Unis, pour bien saisir le consensus mondial, au Nicaragua (1936), au Guatemala (1954), en Bolivie (1964), au Chili (1973), en Argentine (1976) ; et dans tous les autres, qui n’ont eu pour seul objectif que le renversement d’opposants au modèle capitaliste, et l’accession au pouvoir de juntes militaires favorables à la puissance capitaliste par essence, les Etats-Unis. Est-il enfin possible qu’on donne un seul cours d’histoire aux étudiants d’HEC ?

On nous vante dans un journal une logique économique conduisant à l’épuisement des ressources, à l’exploitation pluriséculaire des hommes et de la nature, à l’humiliation permanente –  inhérente à la misère –, à la privation de liberté, au bouleversement du climat, aux inégalités dantesques et inacceptables, gangrène de toutes les nations du globe, mais une logique qui reste le meilleur des modèles, dès lors qu’elle promeut l’individualisme et la possibilité d’achat d’un blackberry… Nul doute que le professeur d’éthique à HEC était absent cette session. Ou bien ils l’ont abattu…

Puis vint le paroxysme du journal. Où l’on caresse ici un sommet. L’article se trouve à la page 6, élucubré par Kyle Krawchuk : « Les Français d’HEC sont ignorants ». L’on s’en doutait, de fait, il nous l’assure. Toutefois, il est fort bien précisé en début d’article, que l’auteur estime que « les Français ne sont pas tous ignorants », et que lui-même possède des « amis Français »… L’altruiste lecteur se rassurera ainsi que les étudiants d’HEC conservent des valeurs d’amitié les uns à l’égard des autres.

Dans ce florilège d’imbécillités anecdotiques, je ne saurais quelles drôleries vous conseiller… Au hasard, je cite : « Un Français s’est inséré dans une conversation entre un professeur et moi sur le régime fiscal Albertain et a demandé s’il y avait des gens en Alberta. Le professeur, en guise de blague, a répondu que « Non, c’est vide », et le Français l’a cru. ». Sacré Kyle, va… On rigole bien à HEC, on se fait des blagues… À partir d’une anecdote, chacun déduira avec aisance que tout Français tient l’Alberta pour un abysse démographique… Sauf qu’il existe d’autres écoles, avec d’autres cours, où l’on explique l’histoire et la géographie Canadiennes, ses institutions, ses politiques publiques, ses dimensions sociologiques, ses strates sociales, ses divergences linguistiques, sa géostratégie… Mais il faut croire que l’étranger lambda, ou bien seulement l’étudiant qui s’intéresse à ses « détails », n’entre pas à HEC. Lui n’a pas vocation à vendre des actifs, il cherche à saisir le caractère d’un peuple. Quoique ce mot soit à bannir au regard du vocabulaire économique : parce qu’il renvoie sans doute à une âme, à une poésie, à une violence, à une histoire désuète ou présente. À une joie désespérée, peut-être. Le mot peuple est l’antichambre d’un autre : populaire. Mais il est des écoles où l’on parle seulement de « consommateurs ». Français ou non, leurs étudiants peuvent se repaître d’ignorance, tant que cette dernière n’affecte pas la terre sainte du chiffre d’affaire. Je me désole de la médiocrité de mes compatriotes d’HEC, et je m’en désole d’autant plus que les étudiants de cette école ont du être choisi sur de semblables critères d’entrée…

L’on tourne quelques pages, et l’on accède étrangement à un article en Anglais. Je me suis dit, au premier abord, que les journalistes de L’Intérêt n’avaient pas la compétence d’écrire tout le journal dans l’une ou l’autre langue, ou bien mettaient-ils un peu d’exotisme… Puis, je me suis dit : c’est une politique de multiculturalisme, la prochaine page sera en espagnol, la suivante en Mandarin, une autre en Berbère, la dernière en Malgache… Non. Une page en Anglais. Pour faire sérieux, afin de mieux imiter les grands quotidiens d’informations. Je me suis arrêté à cette lecture. J’ai repris mon livre, un très beau pamphlet sur la guerre civile Espagnole, Les Grands cimetières sous la Lune. L’on n’y parle guère d’herpès, ou d’orgasme raté – apparemment sujet de fréquentes discussions à L’Intérêt – mais bien d’ignobles charniers. Dedans, j’y ai puisé cette phrase et ce parfum d’amertume :

« La plus grande erreur est de croire la bêtise inoffensive ».

J’ai enfin quitté la cafétéria d’HEC, pour découvrir les mets aimablement préparés par l’association d’anthropologie. Le local y est sans nul doute plus modeste, doté d’aucune baie vitrée ni de grand écran, les voix évoquent des pays fantasques, des passions humaines, et l’on croise si peu de cravates… Mais les repas y sont délicieux.