Pour un choix de cours éclairé

Par Olivier Jacques

Il importe de bien choisir ses cours, parce que la qualité de votre expérience universitaire est fortement corrélée à celle de vous cours, à moins de s’appeler Louis-David Boulard. Par ailleurs, choisir un mauvais cours c’est vraiment moche, puisque 3 ans de Bac c’est rapidement terminé, surtout si on part en échange pour une ou deux session, prenez donc le temps de les magasiner en début de session.

Je commence tout d’abord par rassurer les premières années d’études internationales. Ne vous inquiétez pas, la deuxième session est bien plus stimulante que la première qui ressemble à une sorte de processus d’écrémage consistant à nous inonder de cours introductifs pas toujours agréables. J’ai trouvé que 4 des 5 cours obligatoires de deuxième session (l’exception étant INT 1010) forment un tout cohérent et intéressant qui permet de franchement bien saisir les relations internationales grâce à une approche multidisciplinaire qui fait la force de notre programme. D’ailleurs, je crois sincèrement que tout penseur de sciences sociales devrait avoir une approche multidisciplinaire visant à adapter les connaissances de chacune des sciences pour mieux saisir la réalité sociale. Cette capacité fait malheureusement défaut à de nombreux économistes néoclassiques, ce qui explique certaines politiques économiques totalement déconnectées des réalités sociales.

Trève de bitchage, je vous propose une liste non exhaustive et totalement subjective des cours à prendre en science politique et en études internationales. J’ai suivi la plupart des cours dans cette liste, la validation empirique de leur qualité est donc assurée…

Droit Constitutionnel 1

Un cours qui devrait être obligatoire pour tout étudiant de science politique, pour bien comprendre les lois fondamentales qui régissent nos institutions politiques. Impossible de ne pas voir son idéal de fédéralisme renouvelé complètement mis en pièce après avoir analysé les incohérences de la constitution canadienne et de ses processus d’amendement qui garantissent, selon la formule de Trudeau, que notre chère constitution sera immuable pour 100 ans… Suivre Droit Constitutionnel permet ensuite de prendre le cours de Libertés Publiques, un cours fondamental et très utile pour comprendre des enjeux d’actualités sur la Charte des Droits et Libertés.

Nationalismes

Un excellent nouveau cours offert cette année par la très dynamique Magdalena Dembinska. Un cours qui permet vraiment de développer sa réflexion en politique comparée sur un sujet qui touche à peu près tous les États dans le monde. Ne rend pas nécessairement plus souverainiste…

Pensée Critique

Ce cours permet de se familiariser avec des approches, comme celle de l’École de Francort, qui font parfois défaut dans l’enseignement un peu mainstream de l’UdM. Je crois que la critique est nécessaire si on veut se bâtir une pensée constructive. Ce cours est donné par l’immense intellectuel qu’est Alain Denault, celui qui, à cause de son livre Noir Canada, a subi une poursuite bâillon des deux plus grosses minières canadiennes. De quoi aiguiser sa pensée critique.

Pensée Politique Moderne

Un des deux cours d’Augustin Simard, un des professeurs les plus intéressants du département. Plus mainstream, ce cours est certainement nécessaire pour bâtir sa philosophie politique. Il paraît qu’Idéologies politiques, son autre cours, est totalement renversant et qu’il vous change votre vision du monde.

Politiques Sociales

Un de mes cours préférés, probablement à cause du sujet et du fait qu’Alain Noël est très sympathique. Toutefois, je crois qu’il est nécessaire à tout étudiant voulant comprendre les politiques publiques de réfléchir aux thématiques de ce cours, soit les 3 mondes de l’État Providence de Gosta Esping Andersen et l’impact sur les politiques sociales et la redistribution des richesses du passage du keynésianisme au néo-libéralisme.

Sociologie Économique

Le meilleur de mes cours cette session, sans aucun doute. Ce cours donné à l’UQAM par l’économiste hétérodoxe Éric Pineault est simplement un must pour tous. Commençant par une analyse critique de l’économie libérale et néoclassique, Pineault nous amène ensuite à réfléchir à la sociologie de l’économie capitaliste, aux institutions socio-économqiues, à la modernité, à la philosophie de l’argent, etc.. Un excellent pédagogue et un des penseurs en vue de la pensée économique post-keynésienne. Ce cours révèle parfaitement les failles du néolibéralisme et permet de réfléchir à des solutions concrètes pour améliorer et transformer notre économie. L’UQAM ce n’est pas bas de gamme.

Théories de la Justice

Attendez que Peter Dietsch revienne de son sabbatique pour prendre ce cours de philosophie qui permet de réfléchir à l’éthique de la justice distributive, à partir de l’œuvre de Rawls et des critiques et répliques à son travail par les Nozick, Dworkin, Sen, Van Parjis et autres penseurs de l’éthique contemporaine. L’étude sous forme de séminaire des réflexions de ces philosophes permet de bien définir sa propre conception de la justice et d’être en mesure de la défendre de façon systématique. Toute politique publique doit selon moi, se positionner face aux grandes approches que sont le libéralisme, le libertarianisme, le communautarisme, le marxisme, etc.

Épistémologie de la Science Politique

Certainement le cours le plus difficile du département, mais aussi le plus enrichissant. Faire le cours d’épistémologie avec le légendaire André J. Bélanger est un défi pharaonique (60% de la charge d’un cours de doctorat selon le prof, sept livres à lire et cinq travaux de session), mais entraine une connaissance de la science politique et une satisfaction du devoir accompli qu’aucun autre cours n’apporte au même niveau. Ce séminaire (maximum 20 étudiants, les autres ont trop peur) permet de vraiment réfléchir à la science, de lire les œuvres des grands auteurs contemporains (dont Bo Rothstein et Alexander Wendt, à ne pas manquer) à apprendre comment se construit une bonne recherche et à écrire un texte qui parle de truc que la plupart des gens ne comprennent pas (et qu’on est pas toujours sûr de comprendre soit même), tout en gardant une fluidité et un style digne de Flaubert (André J. nous lis des textes de Flaubert pour nous montrer comment écrire.) La devise d’André J. : plus on en demande aux étudiants, plus ils en font, il n’a pas tort.

Rapidement, je terminerai avec des cours qui m’ont été fortement recommandés.

États-Unis et décolonisation

Un des meilleurs cours d’histoire offert en études internationales. Un cours qui fait apprécier le rôle pas tout à fait neutre des États-Unis dans la période de décolonisation qui a forgé les relations internationales actuelles. États-Unis et révolutions atlantiques aussi est un cours recommandé.

Géopolitique

Un excellent cours de relations internationales offert par le département de géographie et Claude Comtois, un prof apprécié par ses étudiants et par mon prof de géopolitique au cégep, c’est tout dire.

Marginalité et politique

IL paraît que ce cours, de retour à l’hiver 2012, offre un enseignement basé sur la création d’un projet, un peu comme dans une école alternative, ce qui est vraiment une bonne façon d’enseigner. Pascale Dufour explore comment les minorités et groupes marginaux sont influencés et influencent la politique.

Sur ce, bon choix de cours.

Identité en construction

Jean-Pascal Bilodeau

Comment se forme l’identité chez l’être humain? Car si l’on admet qu’«on ne nait pas individu, qu’on le devient», comprendre comment s’articule ce processus reviendrait à répondre à une des quatre questions fondamentales  de l’humanité: qui sommes-nous? Regard sur l’identité en construction 

Une compréhension partiellement possible

La vérité est que les spécialistes sont loin d’avoir répondu au problème. Il est probable que, comme Noam Chomsky l’avait énoncé dans ses théories linguistiques, cette question fasse partie de celles qui soient au-dessus des capacités cérébrales de l’homo sapiens. Mais qu’une compréhension totale et complète soit impossible n’empêche pas que des pistes puissent être amenées, des balises posées et un portrait assez fidèle esquissé. Considérer la compréhension du phénomène de cette manière revient un peu, si on adapte la métaphore de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, à la présenter comme l’horizon. Inatteignable, celui-ci recule à chaque fois qu’un pas se fait. Et pourtant, le chemin parcouru demeure indiscutable.

crédit : Robin Touchard 2011

Le lien et l’individu

Selon la théorie de l’attachement, développée entre autre par Boris Cyrulnik, éthologue, psychiatre et penseur français, c’est le lien d’attachement, c’est-à-dire l’amour dans son sens le plus large, qui est au fondement de l’identité humaine. La construction de soi se fait ainsi par la socialisation issue de deux sources principales : la diachronie et les pressions du milieu. Aussi, si Freud avait placé la pulsion sexuelle au fondement du social, cette théorie inverse le résonnement ; c’est le lien qui définit à la fois la sexualité, la manière de sociabiliser et pratiquement l’ensemble de l’identité humaine.

Cela permet d’expliquer entre autre pourquoi les individus ont une nette tendance à reproduire les conditions même de leur socialisation. Les jeunes filles battues par leur père finissent dans de très larges proportions dans les bras de maris violents. De même, les enfants trop couvés ont une tendance à être jaloux, les enfants négligés, à s’effacer. Mais cette théorie a également le mérite de montrer comment l’histoire individuelle d’un individu fait varier la construction de cette individualité selon une palette stupéfiante. Ainsi des histoires où des enfants grandissant dans des conditions horribles réussissent à s’intégrer parfaitement à la société, ou au contraire, des jeunes de «bonnes familles» finissent tragiquement sont-elles également expliquées par le processus d’intériorisation de l’historicité propre à la personne.

La constitution du lien

De quoi est constitué ce lien si déterminant? Les romantiques seront satisfaits : d’amour. En effet, le lien est un lien d’attachement englobant coup de foudre, mais également l’amour familial, l’amour fraternel, amical, etc. Cet amour s’inscrit donc en degrés ; et plus le lien est fort, plus il a une incidence sur l’individu. En sommes, si le processus de construction du lien affectif se fait massivement durant l’enfance, chaque nouveau lien affectif est susceptible de modifier le type d’attachement… et la personnalité! Or, cette possibilité est un couteau à double tranchant : s’il est possible de «réparer» quelqu’un en sécurisant le lien, il est éminemment plus facile d’attaquer ce lien et de provoquer des troubles dans l’identité d’une personne.

Implications sociologiques

Le domaine identitaire sous le point de vue psychologique est souvent méconnu du milieu «des sciences décisionnelles», soit la science politique, économique, le commerce, et dans une moindre mesure, l’administration (ceux-ci ont des cours de psychologie). Une nette tendance à compartimenter les sujets et les approches a longtemps créé de profondes divergences d’analyse. En témoigne le clivage entre anthropologie et économie. Mais une autre tendance se dessine : celle de la interdisciplinarité. Plus encore que multidisciplinaire, une approche intégrationniste de plusieurs disciplines ouvrirait des pistes de recherches remarquables.

Ainsi, les théories psychologiques modernes tendent à invalider la théorie de l’acteur rationnel en économie en montrant clairement qu’elle est de loin trop réductrice. De même, si la science progresse par recoupements, on peut considérer que des approches multidisciplinaires auront le mérite de présenter plusieurs facettes d’un même prisme, et donc une vision globale plus adéquate. Néanmoins il faut prendre bien soin que cette approche holistique ne reste pas en surface et plonge vraiment dans les problèmes.

Possibilités de l’approche

Qu’une telle approche permettrait-elle? D’abord d’aborder des questions fondamentales sous des angles nouveaux. Par exemple, on pourrait se questionner à savoir quel impact le lien d’attachement a dans la construction du sentiment national. De même, comment l’individu contribue-il à construire l’imaginaire collectif de ses groupements d’appartenance? Comment l’attachement influence-il l’identité culturelle et politique? Le lien a-t-il un impact sur les choix économiques d’un individu?

Mais pour répondre à ces questions, il faudra certainement repenser la coopération interdisciplinaire pour constituer une véritable communauté scientifique. Et pour cela, il faudra cesser cette compétition insidieuse entre les départements et les Universités. Du partage des connaissances et du choc des idées naitra alors peut-être réellement la lumière.