L’ALENA : l’accord régional incomplet. Par Guillaume FREIRE

Lorsque nous analysons les politiques gouvernementales au Québec, on oublie souvent d’y inclure le cadre politique et juridique de l’ALENA. Pourtant, cet accord influence bien évidemment le développement économique et la marge de manœuvre du Québec. En fait, nous n’avons qu’à penser à la poursuite à laquelle Ottawa fait face à cause du moratoire sur les gaz de schiste dans la vallée du St-Laurent[1] pour se rendre compte qu’il y a une limite à la décision de nos élu(e)s.

Lors du colloque des 20 ans de l’ALENA[2], les intervenants ont émis un constat quasi univoque : l’ALENA a profité aux États membres. L’accord régional permet la collaboration des élites, mais on sent que le partage équitable entre les nations ne s’est pas produit. Au niveau économique, culturel et social, il y eut peu de gagnants et beaucoup de perdants. Sur ce point, les panélistes de la conférence « L’impact de l’ALENA sur l’économie québécoise : quel bilan ?» avaient des visions différentes.

Pour la CSN, l’ALENA fut la cause des réformes contre les travailleurs au Canada et de la délocalisation des entreprises, notamment. Il est toutefois très difficile de conclure à la causalité plutôt que de la corrélation du facteur ALENA sur les changements socio-économiques des pays membres. François Vaillancourt, du CIRANO, affirme que l’augmentation des exportations du Québec entre 1971 et 2011 serait expliquée de 20 à 40% par l’ALENA, ce qui aurait stimulé l’emploi. Stéphane Paquin, de l’ÉNAP, a mis en lumière que le Québec est étroitement lié aux exportations : nous produisons deux fois plus que ce dont nous avons besoin à l’interne. Le Québec aurait ainsi grandement profité de l’exportation dans les premières années de l’ALENA. Par la suite, le seul secteur en hausse d’exportation fut l’énergie (la production de pétrole de l’Alberta augmenta grandement à ce moment). Malgré tout, depuis 1993, le chômage au Québec n’a jamais dépassé 10%, avec un taux d’emploi autour de 60%. Malgré les changements de politiques, le Québec a augmenté ses programmes sociaux de près de 10 milliards $ (1990-2000). L’inégalité (testé avec le coefficient de Gini) aurait augmenté durant ces années, mais elle serait plutôt due aux baisses d’impôts au fédéral, selon M. Paquin.

Ce qui est plus intéressant à étudier est l’histoire moins connue de l’ALENA : la tentative d’y instaurer des clauses sociales. Par contre, le Canada et le Mexique auraient refusé de les inclure dans le texte de l’ALENA, selon Sylvain Zini. Mon interprétation, pour le Canada, est que le caractère fédératif du pays aurait engendré le refus des provinces de ratifier ce document dans l’intégralité, dû à une atteinte à leurs champs de compétences. C’est ainsi que l’ANACT (Accord Nord-Américain de Coopération dans le Domaine du Travail) prit la défense des droits sociaux dans les trois pays, en parallèle à l’ALENA. Par contre, lorsque le politique délaisse un pan d’une politique, on ne peut s’attendre à ce qu’il se supporte seul : en date de la conférence, il n’y avait plus personne sur le Conseil d’administration de cette agence. Cet accord a permis d’harmoniser les législations déjà en vigueur entre les États membres, mais n’a aucunement permis de créer un marché commun des travailleurs[3].

Sur cette brève mise en contexte, je vous lance une question : le problème réside-t-il dans l’ALENA, ou plutôt dans le manque de leadership politique dans l’amélioration des normes de travail et sociales en Amérique du Nord?

 

[1] http://www.ledevoir.com/politique/quebec/389103/moratoire-sur-le-gaz-de-schiste-une-compagnie-reclame-250-millions

[2] Je n’ai assisté qu’à la conférence le vendredi, de 10 :00 à 16 :00. «L’ALENA, 20 ans après», organisé par l’IEIM – UQAM. http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/programme_alena_2014.pdf

[3] Mes affirmations dans ce texte sont tirées des conclusions des orateurs invités à ce colloque.

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