La bâtardisation du système universitaire

par Mathieu Crawford

La mode est à la contestation et au chialage. Du moins, c’est l’image que certains médias et surtout le gouvernement tentent de projeter à la population au sujet des manifestations étudiantes; l’on fait un boycott de nos cours dit-on, l’on boude le système pour seulement quelques dollars de plus par année. Diverses raisons nous poussent, nous étudiants, à prendre la rue pour manifester notre mécontentement, notre désarroi face à l’attitude et la position du gouvernement dans la présente affaire; si la plus discutée est sans aucun doute la question de la hausse des frais de scolarité au cours des années à venir, il est aussi question de la mentalité et de l’approche avec laquelle le gouvernement Charest tend à aborder la question du financement universitaire et du rôle qu’ont à jouer ces lieux d’éducation au sein de la société.

Il est prescrit par le gouvernement qu’une des solutions au sous-financement universitaire est une augmentation de la participation des entreprises au sein de nos universités et la création de plus en plus de partenariats entre ces deux agents. Cette «solution» qui nous est proposée s’inscrit dans la lignée de mesures absurdes mises en place par le ministère de l’Éducation au cours des dernières années; accentuant ainsi l’impression d’une privatisation du système d’éducation québécois et une marchandisation du savoir collectif.

L’on entend par là que le présent gouvernement persiste à faire des universités des milieux axés sur les profits et les impératifs commerciaux. Le Parti Libéral du Québec est en train de vendre nos universités au plus offrant.

Pour certains, dont les partisans du gouvernement et de la hausse des frais de scolarité telle qu’elle nous est présentée actuellement, la privatisation du modèle universitaire est d’emblée positive. Ils affirment que l’on bénéficiera davantage de ressources, qu’il y aura une plus grande flexibilité en termes de financement et que cela permettra aux université d’offrir une formation de plus grande qualité, tout en libérant le gouvernement d’un lourd fardeau économique.

Cette position remet en question les bases de notre société et de nos valeurs. Il s’agit d’un retour en arrière et d’une régression. Une régression qui nous dirige vers un régime universitaire qui met l’accent sur la rentabilité; un changement drastique qui ne peut être ignoré, et encore moins accepté.

Traditionnellement, les universités ont toujours été des lieux de culture, de recherche ainsi que de transmission et d’échange de savoir.. Il s’agit du plus haut lieu d’apprentissage; un pôle intellectuel, un espace favorisant le développement d’un esprit critique et surtout, un espace indépendant. Si maintenant, de par l’évolution des domaines scientifiques, les universités peuvent aussi être qualifiées de moteurs du développement économique québécois, elles ne doivent pas perdre de vue leur but initial.

Une visée originelle qui semble oubliée par les pions du gouvernement libéral.

De par l’optique prise par le gouvernement, celle de l’augmentation du financement privé dans le secteur universitaire, les universités ne deviennent qu’un autre moulin à revenus pour les corporations; que des marionnettes servant à créer plus de profits.

Le discours adopté par le gouvernement Charest sur le sous-financement des universités ne sert qu’à justifier et prescrire cette mutation de la vocation primaire des universités. Cela causera les établissements d’éducation supérieure à se détacher des principes d’échange et de transmission du savoir et de plutôt donner de l’importance aux connaissances menant à la création de valeur économique.

En aucun cas ne peut-on laisse l’économie inciter ou décider des priorités des universités.

Les universités ne sont pas de lieux ayant comme but premier la formation professionnelle et sont encore moins un centre de création de connaissance rentables.

La tendance vers laquelle on se dirige qui incitera les universités à se préoccuper uniquement de leur portefeuille et du solde de leur compte ne fera que créer une compétition viciée entre celles-ci en plus d’accentuer les disparités qui les affligent à l’heure actuelle.

La présente «Économie du Savoir» que l’on apparaît tant valoriser et soutenir n’est  donc en fait qu’une restructuration complète du modèle d’éducation québécois selon un modèle entrepreneurial qui n’aura comme fin qu’une concentration des pouvoirs des institutions aux mains d’une élite issue du secteur privé. Cette association des universités à des intérêts individuels favorisera l’apparition d’un schème où les dépenses seront associés aux universités et les profits, aux entreprises; soit une socialisation des coûts et une privatisation des bénéfices. L’on assistera donc à une intégration de la logique capitaliste et matérielle dans la moelle même de notre système d’éducation; faisant des universités qu’un autre maillon de la chaîne de production de valeur économique québécoise.

Mentionner que plusieurs départements souffriront de ces dites alliances entre industries et lieux d’enseignements n’est qu’évidence. De par l’emphase qui sera mise sur les profits et les rendements, le financement de certains départements qui ne seront pas considérés comme étant «économiquement productifs» sera évidemment diminué; condamnant ainsi les universités à occuper un rôle à propension économique qui va à l’encontre de leurs vocations intellectuelles et sociales originelles. Cette discrimination entre secteurs est encore plus manifeste lorsque l’on constate que le gouvernement fédéral, qui alloue les bourses de recherche aux professeurs, semble privilégier les domaines de la science appliqué dans sa distribution des bourses, coupant dans les arts, dans la recherche en science sociale et dans plusieurs autres domaines.

Ce changement de mentalité qui se fait à nos dépends, va à l’encontre de tout ce pour quoi le peuple québécois a milité au cours des dernières décennies. Les générations nous précédant ont forgé de leurs mains la société dont nous héritons aujourd’hui; ce sont eux qui se sont battus pour que notre éducation et nos services sociaux restent accessibles. Aujourd’hui, le gouvernement Charest va à l’encontre des choix que nous avons fait en tant que société et nation québécoise et se lave les mains de tous les efforts qui furent fait auparavant; il crée des bâtards en mélangeant intérêts privés et universités.

Aux camarades

Je vous sens, ces jours-ci, las. Las de ce combat que nous n’en finissons plus de mener, las de ce gouvernement qui nous méprise, las de tout cela, de la violence, de l’entêtement, de l’obstination des puissants. Il est vrai que pas un d’entre nous n’avait prévu que cette lutte serait si acharnée, que douze semaines de grève n’amèneraient rien d’autre que des miettes sur une table fracassée 40 heures seulement après son ouverture.

Si table il y a seulement eu.

Il est vrai que c’est un mur que nous avons entrepris d’abattre. Un mur d’arrogance, de mépris et de cynisme. Ce même cynisme dont ils demandaient l’origine alors qu’ils l’avaient eux-mêmes créés.

Il est vrai que nous n’avions pas prévu que même la loi serait contre nous. Mais je vous en prie, ne confondez pas la justesse d’une loi et sa légalité. Ne voyez pas en ces juges nommés par le pouvoir, en ces lois écrites par les puissants, l’expression d’une volonté divine.

Je vous sens las, oui. J’ai vu certains d’entre vous écrire des courriels appelant la défaite pour «être victorieux» alors que n’y transparait qu’une angoisse profonde.

Ressaisissons-nous.

Car au-delà de l’entêtement du gouvernement actuel, corrompu jusqu’à la moelle, alors que les scandales inondent le monde politique, se pourrait-il qu’au fond, nos gouvernants ne veulent pas de nous dans le débat? Que derrière leurs couverts de «représentativité», leur plus grand souhait soit notre désintéressement et notre cynisme? Car ne sommes-nous pas au fond que de «vulgaires citoyens ordinaires»?

Déjà le combat pour une Université libre dépassait de loin celui d’une hausse de frais de scolarité. Mais maintenant, c’est l’idée même de démocratie, où plutôt ce qu’il en reste, qui est en jeu.

Ils sont en train d’immoler une génération sur l’autel de la rentabilité.

C’est pourquoi il me semble que la question de l’argent que nous aurons perdu à nous battre n’est pas la bonne. Ce qu’il faut se demander, c’est si nous sommes prêts à perdre notre dignité et à tuer à peine naissant l’intérêt d’une jeunesse pour la chose publique.

Et dans cette grève qui nous prend, dans cette grève qui nous élève tous au-dessus de nous-mêmes, j’ai connu des gens qui ont perdu leur emploi. J’ai connu des gens qui ont été sauvagement tabassés par des policiers dans des ruelles, alors qu’ils tentaient de fuir des manifestations. J’ai connu des gens arrêtés plusieurs fois de manière complètement injustifiée. J’en ai connu de ceux qui ont brisé des injonctions, qui perdront leur session, qui s’appauvrissent à vue d’œil.

Je les ai connu qui se battent encore.

Je suis las, tout comme vous. Las de la colère. Mais je suis libre et digne. Et je n’abandonnerai pas pour des miettes.

Jean-Pascal Bilodeau

Sachez que nous


«On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent.»

Bertolt Brecht

Au rythme des mépris et de l’arrogance des Grands qui nous surplombent

Sachez.

Sachez que nous sommes un bâillon qui n’en peu plus de hurler

Que nous sommes une torche

Qui n’en peut plus de bruler vos trottoirs

Sachez, pauvres passants

Que nous n’avons pas voulu les fracas et les cris

Sachez, sachez

Que les lacrymos ne coulent pas dans nos gènes

Mais dans nos larmes

Dans notre rage, sachez

Que si la répression fait mal

Les jugements sont nuées

Que les condamnations assourdissent

Sachez : que les mensonges nous rongent

Nos points sont bleus de froid et rouges de rage

Et puis nos yeux injectés de gaz, sachez

Que nos oreilles bourdonnent leur mépris

Et puis nos jambes courent leur fuite

Sachez que l’absurde nécessité des dollars endoloris

Et le mensonge fatal fatalisent nos blessures

Pour mieux décrier nos coups

Sachez que notre cri est violent

Comme leur viol est de fiel

Sachez, passants, réfugiés dans le verre

Devant la couleur de notre sang sur les pavés

Derrière les écrans des gaz qui nous cachent

Que nos cris briseront vos fenêtres

Sachez

Que la rage est parmi nous

Que la haine nait en nous comme une excroissance

Une liane suffocante grimpe nos rochers

Sur la terre pourrie des injonctions de vos juges

Sachez

Que la colère monte sur les parois de l’arrogance

Abruptes falaises des riches langues poisseuses

Des colonnes indicibles d’indices insidieux

Que nos mains glissent sur elles comme sur nos songes

Ont glissé réels vers l’au-delà obscur

Sachez que notre chair à canon détonne

Que la vitrine explosera sous les regards acerbes

Que nous entrerons dans votre virtuel

Par la force de nos regard brulants

Sachez que nous n’avons pas voulu cette tristesse

Mais qu’elle nous a enfanté

Dans la colère du désespoir

Ces raisins juteux qu’on a jetés au sol

Des menottes sur les ailes
Sachez que les raisins qu’on jette macèrent

Qu’ils trempent dans la fureur réactive

Dans la douleur de l’absurde

Un alcool douteux au parfum d’amertume

Et qu’ils brulent désormais dans la nuit austère

Sachez

Que notre avenir était de terre brulée
De savoir vendu et de servitude consommée

Sachez qu’on nous a cultivé

Dans la solitude acérée de l’égoïsme creux

Mais qu’il ne fallait pour nous remplir,

Qu’il ne fallait pour nous remplir

Qu’il ne fallait pour nous mettre en marche

Que la main des nôtres dans le noir

Tendue. Frôlée. Prise. Nouée.

Pour que nous serrions les points.

Pascal Ajnabi Moreira